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La " Forêt domaniale " - n°7 - suite du dossier N°6

Association Bourguignonne des Sociétés Savantes. Congrès de Semur en Auxois, 1973.
Auteur : Abbé Joseph JOLY, attaché de recherche au C.N.R.S., Professeur d'histoire au petit séminaire de Flavigny sur Ozerain. Extrait de la revue archéologique de l'Est et du Centre-Est. Tome XXIII - Fas. : 3 et 4 .

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L'occupation de la Forêt domaniale de Flavigny sur Ozerain dans la Haute Antiquité. La nécropole de la Forêt domaniale de Flavigny (urnes funéraires et autres)

La Forêt domaniale de Flavigny-sur-Ozerain (Côte d'or) s'étend au sud de cette cité sur une longueur d'environ 3,5 kilomètres et une largeur variant de 1,5 kilomètres à 0,5 kilomètres ; sa superficie est de 274 hectares.

Elle occupe la partie orientale d'un plateau dont les bords sont constitués par une corniche découpée dans les calcaires bajociens et qui, sur presque toute sa longueur, sert de limite à la forêt vers l'est. Elle est traversée de bout en bout par une grande sommière large de 6 mètres, sur laquelle aboutissent perpendiculairement les laies séparant les coupes numérotées de 1 à 40 allant en allant du Sud vers le Nord. Une forte dépression appelée la Grande Combe passe obliquement du N.N.E. au S.S.E en travers des coupes 23, 25 et 21. Enfin, deux sources pérennes sont en rapport avec la forêt : l'une située à la lisière nord de celle-ci est dite Fontaine de Millière ; elle est captée pour l'alimentation en eau de Flavigny ; l'autre beaucoup moins importante, appelée Fontaine de Jérusalem, sort sur le versant oriental de la Grande Combe, dans la coupe 20.

L'exploitation des coupes a mis en évidence deux secteurs particulièrement riches en vestiges anciens ; l'un dans la partie nord de la forêt, dans les coupes 32 et 34 à 40 ; elle est en liaison probable avec la Fontaine de Millière ; l'autre dans la partie sud autour de la Grande Combe, dans les coupes 23 à 25 situées à l'ouest de celle-ci et surtout dans les coupes 14 à 19 situées à l'est et en liaison avec la Fontaine de Jérusalem ; quelques vestiges se trouvent aussi le long de la laie séparant les coupes 4 et 5, à l'extrémité sud de la forêt ; en ce secteur existe aussi non loin de la Grande Sommière une source intermittente appelée Source de Jouvence.

Dans le secteur nord (coupes 32 et 34 à 40) une petite station néolithique a été découverte dans la partie ouest de la coupe 38, au dessus de la Fontaine de Millière ; elle a fourni beaucoup de silex, généralement de petite taille, et sans formes bien caractérisées. Quelques silex taillées ont été récoltés dans les coupes 32 et 35, ainsi qu'un fragment de meule en granite sur un petit tas de pierres, dans la coupe 35 : ces éléments sont, eux aussi, néolithiques.

Dans les coupes 35 à 40 courent en divers sens des bourrelets de pierres bas dessinant des figues géométriques ouvertes qui sont en plusieurs points interrompus par un passage encadré de pierres brutes disposées verticalement : l'un deux est bien visible dans la coupe 36. Entre ces bourrelets qui marquent probablement des limites de propriétés, se rencontrent de petits tas de pierres qui ne sont pas des tumuli ; quelques uns sont de fraîche dates ; un autre (coupe 36) pourrait être la base d'un four à chaux ou de fer.

Dans la coupe 36, entre l'ancien chemin de la Louère et de la Grande Sommière, existe en dehors du système de bourrelets un petit cimetière qui s'étend un peu dans la coupe 34. A la surface du sol étaient partout disséminés de nombreux tessons de poteries variées, de nombreux débris de verre dont beaucoup étaient déformés et tordus par la fusion, des clous de fer à quatre pans et à tête plate, les uns de taille moyenne, les autres plus petits, des clous en fer à tête conique avec la pointe retournée comme si elle avait servi pour un rivetage ; partout, enfin, des fragments d'os calcinés étaient mêlés à ces vestiges ; en tout cela, aucune trace de construction, pas de pierres travaillées, pas de fragments de tuiles.

Les sondages opérés dans cette région ont montré qu'il s'agissait d'un cimetière ; beaucoup n'ont rencontré que des débris en désordre ; quelques uns, cependant, on atteint des sépultures très nettes où l'urne funéraire contenant les os calcinés du défunt était en céramique ou verre avec un autre récipient en verre ou en terre servant de couvercles ; des offrandes variées (fibules de bronze argenté, collier avec perles de verre, miroir en bronze, vases divers, etc .) étaient disposés au voisinage. Les petits clous à tête conique et pointe rivetée appartenaient sans doute à des semelles de sandales, comme l'ont montré les fouilles du Docteur Bénard à Sougères sur Sinotte, dans l'Yonne.

Il n'y a pas de récipients de prix ni d'offrandes précieuses ; on sent qu'on est là en présence de sépulture de gens habitant une petite agglomération rurale qui ont essayé de faire de leur mieux pour leurs défunts mais dont les moyens étaient limités.

Les objets susceptibles de donner des indications chronologiques (monnaies, céramique) montrent que la cimetière a été en usage à partir de la seconde moitié du premier siècle de notre ère, mais il a pu servir, peut-être avec des interrogations, pendant une assez longue période ; une monnaie de Crispine appartient en effet au dernier quart du second siècle. L'état des vestiges rencontrés pose un problème. Ce n'est pas la culture qui est responsable de leur dispersion ; en effet dans l'épaisseur même du sol qui ne dépasse pas 30 cm, les sépultures ne sont pas désorganisées quand elles sont protégées par des pierres posées sur chant ; d'autre part, on rencontre très souvent à peu de distance les débris d'un même vase ; il est évident que les racines des arbres ont été dans ce sol peu épais une cause de fragmentation et de dispersion ; mais leur action à elle seule n'explique pas le désordre à peu près général. De plus de nombreux objets montrent l'action d'un feu violent (verre fondu, clous recouverts d'oxyde salin, oxyde ne se formant qu'à haute température) ; étant donné par ailleurs l'abondance des clous on peut supposer que les sépultures devaient être protégées par de petits édicules en bois élevés au-dessus du sol et qu'au moment des invasions où le feu a détruit les établissements du voisinage, il aurait aussi dévasté ce cimetière plus ou moins pillé et saccagé.

Un point reste à élucider : c'est la localisation de l'agglomération correspondant au cimetière. Elle est certainement hors de la zone où courent les bourrelets de pierres ; ceux-ci limitent en effet des surfaces où il n'y a pas de traces de constructions ; mais en relation avec eux se trouvent dans la coupe 38 à l'est du chemin qui passe à proximité de la Fontaine de Millière et traverse les coupes 36 et 34 des murées basses, éboulées, à l'intérieur desquelles on recueille des tessons gallo-romains. Peut-être conviendrait-il de rechercher de ce côté-là, d'autant plus que le chemin signalé précédemment montre un peu plus au sud un hérisson sur une partie de son parcours ; il rejoint d'ailleurs, à l'extérieur de la forêt, la voie romaine de Flavigny à Vitteaux. Le cimetière est d'autre par limité à l'ouest par le chemin de la Louère (ou plutôt par sa trace) qui paraît être un très ancien axe de communication sur l'aire occupée par la forêt et qui est remplacé actuellement par la Grande Sommière.

Dans le secteur sud quelques silex néolithiques ont été recueillis sur l'emplacement dégagé qui sert de pépinières dans la coupe 21, et surtout dans la partie basse de celui-ci ; du même lieu vient également une monnaie gauloise à la tête de nègre et au taureau cornupéte. Tout le secteur comme le précédent est parcouru en tous sens par des bourrelets de pierres dessinant des figures géométriques formées ou non avec des passages limités dans la plupart des cas par de grosses pierres dressées verticalement. Ici ce sont les dispositifs situés entre les bourrelets de pierre qui retiennent l'attention. Les coupes 22 à 24 y montrent des tas de pierres ; dans la coupe 24 l'un d'eux, celui qui avait meilleure apparence, a été sondé ; il n'avait aucune structure particulière et contenait jusqu'au sol de la céramique gallo-romaine. A peu de distance de la Grande Sommière la laie séparant les coupes 20 à 23 traverse un ensemble gallo-romain.

Tous les lieux précités sont sur le versant nord de la Grande Combe ; ils n'ont pas pu être commodément explorés, le taillis étant trop dense à l'époque des recherches. Il n'en va pas de même des coupes 14 à 19, situées au sud de la Grande Combe et où les travaux d'exploitation ont permis une exploration facile. Entre les bourrelets apparaissaient des tas de pierres informes et d'autres de forme régulière circulaire ou ovale. Les premiers étaient des ruines de constructions gallo-romaines ; il y en avait dans la coupe 18 assez loin de la Grande Sommière, dans la coupe 17 près du tumulus n° 1, dans la coupe 16 non loin des tumuli 3 et 4, enfin beaucoup plus loin de la Grande Sommière sur la limite des coupes 16 et 19. Quelques sondages dans ces ruines ont livré beaucoup de tuiles (coupe 16 vers les tumuli 3 et 4), quelques monnaies (un moyen bronze de Néron, un autre de Nerva, et un autre d'Hadrien), une hachette polie en jadéite réaffutée et probablement récoltée dans les gisements néolithiques voisins ; il faut aussi signaler une ammonite dont un côté avait été scié pour que l'autre serve de motif d'applique ornemental. L'attention des gallo-romains, du moins ceux de la région de Flavigny, semble avoir été attiré par les fossiles ; en effet dans d'autres ruines situées vers la ferme de Premesaut à l'ouest de Flavigny a été recueilli un cardioceras de l'oolithe ferrugineuse des environs de Dijon. D'après les monnaies retrouvées l'occupation remonterait à la fin du 1er siècle de notre ère et au début du second ; mais trois monnaies ne sont pas suffisantes pour donner toute la durée de l'installation sur un site.

Les tas de pierres de forme régulière étaient plus nombreux que les entassements irréguliers. Une étude de ceux qui se trouvaient dans les coupes 15 à 18 a été faite dans la Revue Archéologique de l'est (cf note 2) ; il en résulte que les tas de pierres circulaires assez volumineux (plus de 10 m de diamètre) sont des tumuli de l'âge du Fer, et plus précisément de Hallstatt II, avec ou sans sépultures, à l'exception de l'un d'entre eux (tumulus 3) qui bien qu'ayant même apparence extérieure que les précédents est une construction gallo-romaine à destination inconnue ; son voisin plus petit (tumulus 4) était de même époque. Parmi les petits tas de pierres qui n'avaient que quelques mètres de diamètre, deux seulement furent fouillés ; ils présentaient la même architecture que les grands tumulus hallstattiens, l'un ne contenait aucun vestige de sépulture, l'autre n'a donné que quelques ossements de chien. Il faut noter en passant que les sépultures hallstattiennes étaient toujours accompagnées d'offrandes animales (mouton ou chèvre, chien) et que dans l'un d'eux (tumulus 6), un des plus gros cependant, ne se trouvaient que les restes d'un petit porc ou d'un marcassin. Etant donné par ailleurs la pauvreté du mobilier (2 bracelets de bronze et une portion de vase) il semble qu'on ait ici encore la nécropole d'une agglomération rurale. Les petits tas circulaires qui n'ont pas été fouillés mériteraient de l'être pour avoir de plus amples renseignements, ainsi que les autres tas ovales ou irréguliers dont aucun n'a été touché.

Après la publication de l'étude citée plus haut (cf.note 2) la coupe 14 a été explorée à nouveau. Près de la Grande Sommière existe une petite enceinte s'appuyant sur le bourrelet qui va passer vers le tumulus n° 1 ; du côté sud, elle présente une petite ouverture à peu de distance de laquelle se trouve un petit tumulus ; trois autres sont situés plus loin dans la forêt avant la rupture de pente sur laquelle ils sont suivis par des sortes de larges gradins disposés en retrait les uns par rapport aux autres, et beaucoup plus bas sur la pente apparaît un tas de pierres dont le sommet est fortement excentré par rapport à la circonférence de base. Aucun indice chronologique n'a été trouvé dans cet ensemble qui reste à fouiller.

Enfin tout à fait à l'écart des deux secteurs principaux la laie qui sépare les coupes 4 et 5 passe dans sa partie haute le long d'un gros tumulus ; un sondage sur le bord a montré qu'il était de construction hallstattienne de l'autre côté de la laie par rapport à lui existe un assemblage de pierres à caractère indéterminé ; plus haut encore vers la limite de la forêt apparaissent quelques légers bourrelets de pierres.

L'inventaire des vestiges recouverts par la forêt domaniale de Flavigny montre comment, au cours des âges, a été occupé par l'homme le territoire sur lequel elle s'étend actuellement.

Au Néolithique (5000 à 2000 avant notre ère) le paysage devait être assez dégagé présentant de vastes clairières où pouvaient trouver place quelques installations, peut être même un village vers la source de Millière.

L'âge du Bronze (1800 à 750 av. J.-C.) n'a laissé aucune trace. Cette époque paraît avoir été dans la région une période de grande sécheresse ; de fait les hommes ont déserté les plateaux réduits probablement à l'état de friches ou de garrigues, pour rechercher la proximité de l'eau dans les vallées.

Il semble par contre que le début du premier millénaire ait été marqué par une déterioration climatique avec des précipitations abondantes ; par suite les plateaux deviennent préférables aux vallées pour les établissements humains et de fait vers la fin du premier âge du Fer, c'est-à-dire au VIe siècle av. J.-C. dans le secteur sud de l'actuelle forêt de Flavigny s'était établie une population hallstatienne qui paraît s'être adonnée surtout à l'élevage (présence constante d'animaux domestiques dans les sépultures). Le terrain ne devait donc pas être couvert par la forêt.

Enfin à l'époque gallo-romaine, certainement durant les deux premiers siècles de notre ère et probablement plus tard, l'occupation humaine s'est largement étendue dans le secteur sud et dans le secteur nord ; à ce propos, on peut remarquer que les bourrelets de pierres qui sont vraisemblablement des limites de propriétés existent dans ce dernier secteur où il n'y a pas de vestiges hallstattiens ; il est donc sûr que là ils sont l'oeuvre des gallo-romains, et par suite hautement probable qu'ils le sont également dans le secteur sud. Quoi qu'il en soit, l'étendue des installations gallo-romaines montre qu'à cette époque la forêt actuelle n'existait pas. Tous les ouvrages gallo-romains montrent des traces de destruction violente. Par conséquent, ce n'est qu'après les invasions barbares que la forêt a occupé toute la surface qu'elle couvre aujourd'hui.

Il s'agit là d'un fait général : les forêts dans nos régions, étaient moins étendues à l'époque gallo-romaine qu'elles ne le sont actuellement ; il ne saurait être question d'un simple déplacement des zones habitées car il y a autant d'installations gallo-romaines en dehors des forêts qu'à l'intérieur de celles-ci.

Auteur : Abbé Joseph Joly

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